Le colloque, ouvert par Olivier Faron, Administrateur général du CNAM, et par Jacques Toubon, Défenseur des droits, a ensuite donné la parole, sous forme de tables rondes, à Daniel Agacinski, Chef de projet à France Stratégie, Bernard Bénattar, philosophe du travail et Arnaud Stimec, Professeur à Sciences-Po Rennes (table ronde animée par Laure Veirier, Médiatrice et formatrice) puis à Christophe Baulinet, Médiateur de Bercy, Jean-Louis Walter, Médiateur de Pôle Emploi, et Catherine Garreta, Médiatrice interne à l’Agence française de développement, (table ronde animée par Jacques Salzer, Médiateur et formateur),avec une synthèse en forme de questionnement réalisée par Catherine Vourc’h, également Médiatrice. La salle était comble et les échanges de grande qualité.
Au-delà d’un rappel du contexte structurant la médiation, Jacques Toubon a pointé du doigt quelques évolutions sociétales majeures.
Il constate notamment un changement dans l’attitude des citoyens, moins fataliste et plus actifs dans la contestation, prêts à remettre en cause l’autorité des services émanant de l’Etat.
Dans ce contexte, la Médiation offre selon lui une possibilité de recours qui vient contredire le sentiment d’injustice que peuvent ressentir certains, et quelques fois l’absence de solution proposée par l’Etat, via les structures de Services Publics, notamment de la justice.
Le Défenseur des droits pose la question de la bonne place de la Médiation dans un contexte de réduction des dépenses de l’Etat. Il y voit une belle opportunité de faire que la Médiation contribue à répondre à une demande sociale de pouvoir jouer un rôle plus actif pour résoudre les différends, de favoriser l’accès au droit des plus faibles grâce notamment à la gratuité de la démarche.
Il rappelle les compétences, définies par les réglementations européenne et française, et qui se résument en « impartial, compétent, efficace et diligent », que doit posséder le tiers Médiateur institutionnel.
Il suggère de distinguer dans le traitement, demandes de conseils et d’information, en amont des litiges, à traiter rapidement et par la proximité, et litiges formés, parfois plus compliqués et plus longs à résoudre. Il met aussi en exergue les risques associés au développement des traitements électroniques, inéluctables.
Il résume ainsi la position de la médiation : La valeur ajoutée de la médiation, c’est l’humain, la parole, l’écoute. Au milieu de ce monde quelquefois déshumanisé, la médiation est un espace d’humanité à préserver, à développer et à inventer.
A partir de là, les intervenants suivants ont abordé le rôle de tiers du Médiateur dit institutionnel, table ronde qui a posé les questionnements suivants :
- Le Médiateur peut-il prendre la place de ceux qui incarnent la Loi ?
- Que représente la Médiation : un outil managérial, un levier de pouvoir, un moyen pacifique pour l’Institution ?
- Comment accueillir au sein de l’Institution la forme de « désordre » que représente la médiation, là ou l’institution a besoin d’ordre et de règles ?
- Comment les Médiateurs peuvent-ils se détacher d’une certaine toute puissance de l’Institution et accueillir une forme de fragilité ?
Il ressort par exemple du grand débat national, entre autres, que l’Etat est trop lointain et trop puissant pour les plus petits. Le Médiateur peut répondre à ce besoin de proximité, de disponibilité. Il a la capacité d’apporter des réponses aux plus faibles. Le Médiateur peut rétablir le lien et réparer la fracture causée par la disparition de certains services de proximité.
Mais attention, il ne faut pas faire porter au Médiateur la responsabilité de restaurer ce lien. Il y a un intérêt à protéger la Médiation des standards d’évaluation des Services Publics pour qu’elle puisse continuer son approche artisanale et humaine. Le défi est de favoriser l’acculturation de la Médiation dans les Services Publics, dans sa phase actuelle de montée en puissance.
La crise des institutions est difficile à définir ; peut-on la considérer comme « l’annonce du pire à venir» ?. Aujourd’hui, l’Institution ne laisse peut-être plus assez de place à l’initiative individuelle, à la liberté. Il en ressort un sentiment d’enfermement. Le tiers peut alors être celui qui aide à sortir de cette situation, au cas par cas. Aujourd’hui, dans les entreprises, les institutions, tout est calibré, évalué, normé et organisé et l’on mesure la conformité. Il y a un besoin de laisser des espaces de liberté, d’initiatives, et de responsabilité. C’est un rôle que peut jouer le tiers. Mais le risque ultime et présent est d’être tenté de normer le tiers, qui ne pourra alors plus faire autant tiers. Le ferment de la crise, c’est cette sacralisation de la norme !
Pour autant, tout tiers ne peut être médiateur et tout médiateur ne joue pas son rôle de tiers. Des tiers peuvent être des personnes qui s’estiment légitimes, de par leurs liens avec les personnes, leur expertise, ou leur capacité à prendre de la distance aussi. Pour être tiers, il faut de la méthode, pour éviter d’enfermer le débat. Il est important de pouvoir apporter du sens : sens de la liberté, sens de l’amour, sens de la vérité.
L’approche socratique, naïve et curieuse, est suggérée. Pour que le sens soit partagé, on interroge aussi l’éthique. Le Médiateur est un tiers naturel, qui va donner du sens au sein de l’Institution et offrir un espace là où « ça ne fonctionne pas pareil ». Le tiers est étranger au système et interfère pour créer un nouveau terreau.
La question est posée des dilemmes éthiques du tiers, quel qu’il soit : Médiateur, délégué syndical, médecin du travail. Le tiers peut, à certains moments, avoir besoin de faire appel à d’autres tiers. Finalement, l’important n’est pas de sortir du dilemme mais de se poser la question pour rester en conscience. De même, on peut s’interroger sur la neutralité du Médiateur, ou de tout type de tiers. L’essentiel est finalement de savoir ce qu’apporte le tiers, de connaître sa posture. On retrouve la question fondamentale du sens.
Les trois Médiateurs intervenants ont confirmé que pour être tiers et faire tiers au sein d’une organisation, il fallait connaître ses structures et parler son langage. Les Médiateurs institutionnels rappellent qu’ils sont en place d’abord parce que la Loi oblige les organisations à les mettre en place. Ils ne sont pas toujours attendus, compris et accueillis, en tous cas au départ. Jean-Louis Walter définit l’indépendance du Médiateur comme une capacité personnelle de résistance.
Il y a toujours un partage de valeurs entre une Institution et les personnes qui la composent. Le conflit est un symptôme de dysfonctionnement dont il faut chercher l’origine. Les conflits collectifs sont souvent la somme de conflits individuels, d’où la difficulté à résoudre un conflit collectif. L’intervention d’un tiers est délicate au sein d’une organisation puissante et descendante. Le tiers, c’est une personne volontaire et optimiste, dans une société qui s’inscrit dans une démarche de plainte généralisée. Le rôle du Médiateur, c’est finalement d’aider les parties à comprendre l’origine du conflit et à changer de regard sur le différend.
Nos Médiateurs en tribune ont insisté sur le fait que le pouvoir d’un Médiateur se limite à deux registres : poser des questions et être capable de se retirer.
Le Médiateur doit être compétent, et donc être formé. Être Médiateur, c’est assumer une forme de Magistère, qui comprend une part d’humanité. La phase d’écoute en médiation est primordiale : c’est elle qui permet de régler les litiges. Le Médiateur doit prendre son temps et expliquer la démarche, ce qui lui permet aussi de prendre la distance nécessaire.
Le Médiateur doit pouvoir bousculer les codes, questionner, s’imposer : il doit donc être crédible et respecté, et pour cela, surveiller au quotidien la qualité du service rendu. Le Médiateur offre une bulle de liberté et doit pouvoir agir librement.
Concernant la question de la légitimité, les Médiateurs ont souligné le choix qu’ils ont fait de ne faire partie d’aucune instance au sein de l’organisation qu’ils représentent, pour garder leur indépendance. Ils ont toutefois besoin de s’imposer, par leur pouvoir d’influence, du fait de leur parcours professionnel, de leurs études, de leur personnalité. Ils doivent aussi continuer à être informés au plus haut niveau et doivent gérer la frustration liée à leur perte de pouvoir hiérarchique au sein de l’organisation.
Les recommandations qu’ils formulent dans leur rapport annuel leur permettent de faire progresser l’organisation et contribuent à asseoir leur légitimité. Ils ont le souci du suivi et s’assurent que les solutions qu’ils formulent soient mises en œuvre.
Ils doivent passer du temps sur le terrain, échanger, convaincre. Ils doivent oser parler des conflits. Ils doivent utiliser un langage simple, compréhensible et accessible.
Finalement, la Médiation propose un espace de liberté au sein d’une organisation hyper normée, qui permet, par l’acuité du langage, par le regard naïf et extérieur de celui qui fait tiers, de reconnaître toutes les parties prenantes et d’accueillir l’inconnu de la solution qui sortira de la discorde. C’est un moyen pour trouver un accord autour d’un désordre, grâce à l’intelligence collective. Le Médiateur fait ainsi preuve d’audace, de créativité et d’intuition. Il accède à l’exception, au nom de l’équité, dans l’esprit de la Loi. La Médiation est in fine une chance.